The Words of Negroes

Paroles des Nègres

Grande Anse, de la Plantation à l’Usine

L’esclave Sébastien a du naître dans les années 1800, sur l’habitation qui a précédé l’existence de l’usine, qui s’est prolongée en elle. Grand Anse, crées 3 ans avant l’abolition de l’esclavage, est la plus ancienne de toutes les usines encore en activité en Guadeloupe :

« Sébastien est d’une famille de la Grande-Anse, où il y a des sorciers empoisonneurs et sa sœur Madeleine qu’il voit souvent pourrait bien lui procurer du poison ».

L’activité sucrière à Marie Galante commence au début des années 1660. C’est le moment où la résistance des Caraïbes prend fin : traqués, spoliés, massacrés depuis un quart de siècle, ils se retirent à la Dominique et à St Vincent après le « traité de paix » de 1660. Cette paix donne une impulsion nouvelle au mouvement de colonisation ; dès 1666, Marie-Galante compte 496 habitants, dont, déjà, 209 esclaves. Enfin et surtout, depuis 1654, l’industrie sucrière a véritablement démarré en Guadeloupe, grâce à l’arrivée dans cette île d’anciens planteurs hollandais expulsés du Brésil par les Portugais et qui ont appris aux colons français à fabriquer correctement du sucre. Très vite, les colons de Marie-Galante installent des moulins à sucre sur leurs habitations ; En 1665, Daniel Thauvet est le 5ème à s’installer, sur la colline située en face de l’usine actuelle. 

Au cours des années suivantes, Marie Galante connaît sa propre « révolution sucrière ». Dans le même temps, le nombre d’esclaves importés d’Afrique fait plus que tripler. À la veille de la Révolution, l’habitation Grand Anse a changé plusieurs fois de mains. Elle compte 35 esclaves de tous âges. 

Sous la Restauration et au début de la Monarchie de Juillet, L’industrie sucrière marie-galantaise connaît une extraordinaire poussée de croissance. En une vingtaine d’années, le potentiel de production de l’île double. 

En 1843, l’habitation Grand Anse dispose toujours de la même superficie avec 22 ha plantés en canne et 90 esclaves. En 1844, son propriétaire vend 3 hectares de terres incultes à la Compagnie des Antilles pour y construire une usine. Ses cannes sont traitées à l’usine de Grand Anse et à partir de 1845, la sucrerie ne fonctionne plus. 

Dès 1845, l’usine est équipée de machines à vapeur et de générateurs desservis par une imposante cheminée. La crise consécutive à l’abolition de 1848 fait sentir ses effets pratiquement jusqu’au début de la décennie 1860. Pendant toute cette période, Grande-Anse demeure la seule usine de Marie-Galante et connaît, semble-t-il, de nombreuses difficultés tenant au manque de cannes et de main d’œuvre ; sa production reste faible et ne parvient pas à dépasser durablement celle d’avant 1848.

L’usine poursuit cependant sa modernisation et élargit son patrimoine foncier en annexant les habitations voisines. Après l’arrêt des nombreux moulins à vent de l’île, Grand Anse traite l’essentiel de la production cannière de l’ouest de l’île. La superficie des terres de l’usine augmente aussi régulièrement, jusqu’à 2900 ha en 1900. Cependant, cette période correspond au pire de la crise sucrière mondiale. La population atteint le fond de la misère. Le cyclone de 1928 précipite la fermeture des 3 autres usines de Marie Galante, lui assurant le monopole

Une opération de réforme foncière amorcée en 1963 permet à 344 petits planteurs d’acquérir des lots de terres du domaine, les machines sont modernisées. En 1967, Grand Anse est devenue l’usine la plus moderne de la Guadeloupe. Jusqu’en 1980, l’exploitation est prospère et dégage des bénéfices conséquents. 

Depuis 1994 l’usine est gérée par la société SA-SRMG (Sucrerie rhumerie de Marie Galante) avec le soutien de l’état et de la région. Les murs de l’usine et le foncier sont acquis en 2001 par la communauté de commune de Marie Galante. 

Ces dernières années, les menaces se sont accumulées sur l’avenir de l’usine : déficit d’investissement, vieillissement critique de l’outil de production, problèmes d’atteinte à l’environnement et arrêt du soutien européen au prix du sucre … Un projet de centrale thermique est également venu brouiller l’avenir et l’image de l’usine. Son état s’est constamment dégradé et sa fermeture semblait inéluctable.

Aujourd’hui l’usine emploie toujours à l’année une soixantaine de permanents. Ils sont rejoints durant la campagne (période de récolte de la canne et de fabrication du sucre), par une centaine de saisonniers, tous Marie Galantais. La campagne dure quatre mois au plus, deux mois et demi les mauvaises années. Les permanents commencent alors à démonter les machines pièce par pièce les s pour les remettre en état. En début d’année, l’usine est entièrement remontée. 

En 2021, la campagne est subitement interrompue 2 jours après son démarrage : la chaudière vient d’imploser. La mobilisation des ouvriers permanents et surtout saisonniers, qui ont occupé l’usine pendant des semaines, a permis d’obtenir l’assurance que des réparations seraient effectuées. La chaudière est rénovée, la charpente est réparée et la campagne 2022 se déroule de façon satisfaisante. En 2023, des grands travaux de mise aux normes environnementale sont mis en œuvre : des bassins de décantation pour les eaux polluées sont construits. Contre tout attente, Grand Anse respire encore ….