The Words of Negroes

Paroles des Nègres

Le Fouet

L’usage du fouet sur les habitations est autorisé par le Code Noir, mais compte tenu des abus constatés, son usage a été progressivement encadré dans les colonies. En 1786, il est limité par ordonnance royale à 50 coups. Aux Antilles une jurisprudence s’est peu à peu imposée pour le limité à 29 coups. 

Art 33 et 34 : il est permis aux maîtres de faire enchaîner et battre de verges les esclaves qui seront en faute ; mais il est défendu de les mutiler ou de leur donner la mort. 

Selon Victor Schoelcher « le fouet est partie intégrante du régime colonial ; le fouet en est l’agent principal ; le fouet en est l’âme (…) Si on voulait symboliser les colonies telles qu’elles sont encore, il faudrait mettre en faisceau une canne à sucre avec un fouet de commandeur ». 

Pour recevoir la punition, les esclaves sont généralement attachés à des piquets à même le sol – d’où l’expression recevoir un « 4 piquets » – ou encore à une échelle. 

On administre souvent sur leurs plaies un mélange de citron et de piment supposé accélérer la cicatrisation. Hommes, femmes et enfants peuvent être ainsi punis. Mais l’usage est censé réserver aux enfants le « petit fouet » ou rigeoise : nerf de bœuf ou fouet plié en deux formant une sorte de cravache. Le non-respect de cette « règle humanitaire » est l’objet d’une vive polémique lors du procès de Vallentin. 

De la Longueur du Fouet

Dès le deuxième jour d’audience comparait Réville, le jeune fils de Sébastien âgé de 13 ans. On lui pose une question directe, et sa réponse ne l’est pas moins.

D.

Avez-vous été quelque fois châtié ?

 

Réville : 

Oui, par Louis, le commandeur, deux ou trois fois, par ordre de M. Vallentin, parce que j’avais laissé les bestiaux fourrager les plantations. Il me battait debout avec son fouet ; je ne pouvais marcher qu’à quatre pattes, pour aller dans la case de ma mère. Mon père m’a quelque fois aussi battu, mais c’était avec des lianes de goyave.

 

James, Assesseur : 

Ce ne peut pas être de toute la longueur du fouet que cet enfant a été battu. Ce serait épouvantable. Ordinairement le commandeur fait de son fouet une rigeoise, quand il châtie les négrillons.

 

D.

Est-ce avec le grand fouet que vous étiez châtié ?

 

R.

Quand on me battait couché, c’était avec le demi-fouet. Mais, c’était toute la longueur du fouet, quand on me battait debout. Je saignais en pile. Ma mère lavait les plaies avec de l’eau de manioc.

Réville ne se démonte pas, il persiste dans ses déclarations qui causent une grande émotion. Pourquoi ? parce que la longueur du fouet avec lequel on l’a battu n’est pas « réglementaire ». Vallentin intervient.

Vallentin : 

Réville était souvent marron. J’ai été forcé de le corriger, pour l’empêcher de devenir mauvais sujet. Je l’ai souvent fait châtier devant les négrillons, mais jamais avec le grand fouet.

Ainsi il est parfaitement acceptable de fouetter un enfant devant d’autres enfants, mais pas avec le grand fouet. Il faut en avoir le cœur net, alors le Président ordonne que l’enfant soit examiné sur le champ par le Docteur Bouchet.

M le Président : 

Il importe de savoir si les châtiments infligés à cet enfant ont été excessifs et de vérifier si les stigmates qu’ils ont laissés sont de nature à justifier la vérité de ses assertions. En vertu de notre pouvoir discrétionnaire, nous ordonnons que le témoin sera visité par le médecin au rapport, dans la chambre du conseil.

 

Vallentin : 

Il existe des traces de ces châtiments, mais il faut remarquer que, dans cette famille, la plus légère égratignure laisse des traces indélébiles.

Il faut imaginer Réville conduit aussitôt dans une pièce, déshabillé et examiné sous tous les angles par le Docteur Bouchet sous le regard de l’avocat de Vallentin. Il faut imaginer ce soi-disant médecin se pencher sur les cicatrices qui zèbrent le corps de l’adolescent, traces d’un déjà long passé de souffrance – il a 13 ans, on le fouette depuis au moins ses 7 ans ! 

Un quart d’heure plus tard, le docteur revient et livre les résultats de son « expertise ».

M le Président :

M. le docteur, avez-vous remarqué des traces de coups de fouet sur le corps de l’enfant Réville ? S’il en existe, pourriez-vous dire à la Cour à quelle époque peut en remonter la cause ?

 

Dr Bouchet :

J’ai remarqué sur les fesses de cet enfant, les traces de dix coups de fouet. Ces coups ont pu être donnés, il y a un ou deux ans au plus. La cicatrice est d’abord blanche, en raison du pigmentum qui existe entre l’épiderme et le derme. Tous les jours, à la Pointe-à-Pitre, je vois administrer des coups de fouet et des coups de rigeoise ; mais la gravité des coups ne peut pas se déterminer par le volume des cicatrices. Le volume des cicatrices est le résultat du développement du tissu fibreux chez les nègres. Si l’enfant que je viens de visiter a conservé la trace des coups de fouet qu’il a reçus, ce phénomène est inhérent à sa constitution ; et j’en trouve la preuve dans le vésicatoire qui lui a été appliqué, il y a quelque temps, et qui a laissé des traces saillantes.

 

D : Pensez-vous que les coups de fouet dont vous avez remarqué les traces aient été proportionnés à la force de l’enfant ?

 

Dr Bouchet :

Oui, Monsieur, le fouet et la rigeoise produisent les mêmes plaies. La rigeoise (nerf de bœuf) serait plus dangereuse que le fouet.

 

D : Pensez-vous qu’après avoir reçu les coups dont vous avez remarqué les traces, cet enfant a été dans la nécessité de marcher à quatre pattes ?

 

Dr Bouchet :

Non, Monsieur, jamais je n’ai vu des coups de fouet entamer les chairs. Le législateur a voulu qu’ils fussent appliqués sur les fesses, parce que, dans cette partie, le tissu cellulaire fait, en quelque sorte, un matelas graisseux. Jamais les muscles ne sont entamés. Très rarement, la peau est divisée dans toute sa profondeur ; la contraction des muscles s’est opérée. Il ne peut y avoir châtiment excessif, que lorsque l’application du fouet peut nuire à la santé de l’enfant ; par exemple, lorsqu’elle peut donner la fièvre ou causer une maladie. Quand la loi permet au maitre d’infliger à son esclave, un châtiment que le maître croit qu’il a mérité, ce n’est pas pour des prunes.

On reste atterré devant de telles déclarations, mais les phrases qui suivent nous ramènent à la réalité de la situation : le docteur Bouchet est lui aussi propriétaire d’esclave et en dispose avec la même inhumanité, le même sadisme tranquille que Vallentin.

Dr Bouchet :

Je suis propriétaire d’un petit nègre mauvais sujet ; il est presque toujours marron. Je lui ai mis un croc au cou et une chaîne aux jambes. Toutes les fois qu’il a été repris, il a rompu sa chaîne aux jambes, il s’est sauvé et quelquefois il fallait aller le chercher sur les toits. Je lui fis infliger une rude correction : il a marché sans difficulté, après l’avoir reçue. Le châtiment ne lui avait laissé que la trace de petites plaies qui ont été parfaitement cicatrisées ; parce que le tissu cellulaire de mon nègre n’est pas organisé de même que celui du jeune nègre que je viens de visiter.