The Words of Negroes

Paroles des Nègres

Le Poison

« Le poison est à l’esclave ce que le fouet est au maître, une force morale » dit Schoelcher. Il rétablirait une sorte d’équilibre entre l’esclave et son maître : menace permanente qui le terrorise et serait censé modérer ses abus.

 

Mais dans notre affaire, le poison est précisément pour Vallentin le prétexte à ses abus. C’est la première hypothèse qu’il fait en voyant mourir ses animaux, la seule explication à laquelle il se tiendra, sans rien faire pour la vérifier.

Interrogatoire de Vallentin, audience du 28 janvier, 1842

D.

Avez-vous fait procéder à l’examen de vos bestiaux, à leur autopsie par un homme de l’art ? Non, Monsieur. Le vieux nègre de l’habitation qui, depuis 40 ans soigne les bestiaux, fut appelé ; il m’a dit que cela serait inutile, qu’il n’y avait pas de remède.

D.

Il est fâcheux que cette autopsie n’ait pas eu lieu. L’examen de l’estomac, des viscères et des autres parties internes des animaux aurait pu nous donner la preuve qu’ilsétaient morts par d’autre cause que celle du poison.

le Conseiller Ménestrier:

Il n’y a donc pas de vétérinaire à Marie-Galante ? 

R.

Non, Monsieur.

D.

On voit bien que vous êtes sous l’influence de préoccupations que partagent la plupart des habitants.

Vallentin partage l’obsession des colons pour le poison, savoir occulte des Nègres, que constate, effaré, le magistrat venu de France. Pour les colons, les épizooties n’existent pas ; la mort du bétail ne peut être imputée qu’à des actes de malveillance. Imitant leur maître, certains escalvent versent eux aussi dans la thèse du poison :

D.

Mais à quoi pouvait-on attribuer la perte des bestiaux de l’habitation, était-ce au poison plutôt qu’au charbon, ou à toute autre maladie naturelle ?

 

François, ancien esclave de Sébastien :

C’était au poison, parce que des bœufs qui étaient bien gaillards le matin, qui avaient bien mangé, tombaient morts le lendemain.

 

Dans le cas de Sébastien, on tente à l’audience de justifier les soupçons, par les connexions familiales de l’esclave, c’est ainsi que l’exprime Félicien lorsqu’il le dénonce:

Félicien cité par Bellevue dans son témoignage:

L’auteur des empoisonnements dont vous vous plaignez, c’est Sébastien. Sébastien est sorcier. Sa famille reste sur l’habitation de la Grande-Anse, où il y a des sorciers. Elle connaît les poisons et travaille pour Sébastien. »

 

Les mêmes propos sont ainsi rapportés par Louis 

Je vous dirai que Sébastien a une sœur qui, comme lui, fréquente les sorciers de l’habitation de la Grande-Anse ; qu’il peut se faire qu’il soit initié dans leurs secrets et de tout ce qu’ils disent dans ce pays malfaisant. »

Bientôt une autre thèse émerge : toujours sous le coup d’une affaire sans doute retentissante d’esclave de Marie Galante condamné pour empoisonnement, on imagine que Sébastien aurait pu être initié par lui.

Bellevue, associé de Vallentin

J’interrogeai Sébastien, je n’avais d’autre preuve contre lui que la déclaration de Félicien, et l’idée qu’il avait été l’ami de l’esclave Pierre, qui avait été condamné par la Cour d’Assises, en 1829, aux travaux forcés à perpétuité pour crime d’empoisonnement de bestiaux. 

D : Etiez-vous certain que Sébastien avait été l’ami de Pierre ?

R : Je n’en avais pas la certitude ; mais je savais que Pierre avait dit aux Assises que l’un des nègres du Balisier lui avait proposé de travailler. Nous savons ce que ce mot veut dire parmi les nègres.

D : Mais, comment vous êtes-vous aperçu qu’un nègre pouvait être empoisonneur ?

R : Ce sont des choses qu’on aperçoit plutôt qu’on ne les explique, surtout pour moi qui n’ai pas beaucoup de facilité d’élocution.