The Words of Negroes

Paroles des Nègres

Le Supplice de Sebastien

En confiant le troupeau à la garde de Sébastien, c’est un véritable piège que Vallentin lui a tendu. Après la dénonciation de Félicien, saisissant le prétexte de la mort d’un de ses plus beaux bœufs, il le fait aussitôt enfermer au cachot. Sébastien sait qu’il n’en sortira pas vivant et supplie son maître de le tuer tout de suite. Ce sera la seule et la dernière supplication de Sébastien : plutôt être abattu d’un coup de fusil que de subir cette mort lente et atroce.

 

Lorsque Sébastien tente d’agrandir à mains nues la fenêtre qui laisse passer un peu d’air, Vallentin ordonne de la boucher, privant le prisonnier d’air et de lumière.

Vallentin semble attendre avec impatience le dénouement fatal. Louis, son commandeur, l’informe de la dégradation de l’état de Sébastien « Tant mieux, dit-il, Je ne perdrai plus mes bestiaux ! ». Vallentin salue l’annonce de la mort de Sébastien : « Tant mieux, me dit-il, il est enfin mort de sa belle mort. »

8 jours après l’avertissement de Louis à son maître, Sébastien n’existait plus.  La menace de l’accusé a donc été mise à exécution : « Tu me diras qui empoisonne mon bétail, ou tu mourras au cachot ». Vallentin accueille la nouvelle de la mort de Sébastien avec soulagement.  

A la barre, Louis, le surveillant, décrit le terrible engrenage qui conduira Sébastien vers la mort.

Interrogatoire de Louis Commandeur, Audience du 31 Janvier

Monsieur avait reçu 7 bœufs de Porto-Rico. Sébastien en avait la garde. Quelque temps après, un de ces bœufs mourut ; des moutons, des cochons, des mulets périrent aussi. Monsieur fit réunir l’atelier. Tous disaient : « Ce n’est pas nous. Vous ne devez pas vous en prendre à nous, puisque Félicien a dénoncé Sébastien. C’est donc toi, disait Monsieur à Sébastien, qui est cause de la mort de mes bestiaux. Je te ferai mourir au cachot. » « Monsieur, répondit Sébastien, je ne vous en veux pas. Faites de moi tout ce que vous voudrez. Tuez-moi plutôt que de me mettre au cachot ».

Alors Monsieur m’intima l’ordre de la conduire au cachot. Il me recommanda aussi de bien lui donner à manger. Outre ce que je lui donnais chaque jour, Adeline me pria de lui laisser porter aussi de la nourriture. « Ah ! C’est trop fort, me suis-je dit. Il faut que j’en parle à mon maître. » Monsieur me dit de lui laisser faire ce qu’elle voudrait ; mais d’agir comme s’il l’ignorait. Je portais donc à Sébastien tout ce qu’Adeline me donnait pour lui. Il se plaignait de douleurs de jambes, parce que le banc qu’on lui avait donné était trop court pour lui. Je lui donnai un bout de bois. Quelque temps après, Sébastien se plaignit de maux d’estomac. Je lui remis une bouteille de rhum et du tabac qu’Adeline avait achetés pour lui. Il devint plus malade ; toujours il se plaignait de maux d’estomac. Je n’en prévins pas Monsieur, parce que Monsieur répugnait de la voir ; mais Mme Vallentin lui envoya de la soupe à l’oignon et une bouteille de vin. Cependant sa maladie empira ; je prévins Monsieur Vallentin qu’il n’avait plus que peu de jours à vivre. « Tant mieux, me dit-il, il mourra de sa belle mort (…) Tant mieux. » Plusieurs jours après, j’allai annoncer à Monsieur que Sébastien était mort : « Tant mieux, me dit-il, il est enfin mort de sa belle mort. »

Adeline et ses 2 fils se relaient pour visiter Sébastien et lui apporter à manger dès qu’ils le peuvent.

Interrogatoire de laurent, âgé de 16 ans, fils de Sébastien:

J’allais souvent, avec mon petit frère Réville, au moins une fois par semaine, apporter à manger à notre père. On le faisait s’asseoir, on le tenait pas les épaules. Quand il  est tombé malade, Mme Vallentin lui a fait porter de la soupe. Mais je crosi que ce ne fut qu’une seule fois. 

 

D:

Mais, il avait une planche et une natte en paille pour se coucher ?

 

R: 

Oh ! Monsieur ; il n’y avait pas de natte. Tous le jours, Réville apportait de la paille, à cause de la boue qui existait dans le cachot.

 

M. le Président : 

votre père se plaignait-il de maux d’estomac, lui avez-vous entendu dire qu’il avait reçu un coup de pilon à l’estomac ?

 

R.

Non, Monsieur, il ne l’a jamais dit ; il ne s’est jamais plaint devant moi de douleurs à l’estomac ?

 

D:

Avez-vous vu Sébastien après sa mort ?

 

R.

Oui, Monsieur, il avait le corps tout piqué par les morsures de petites bêtes blanches, par les tritris. Les chaires étaient molles du côté où il se couchait. Ce côté était sali par la boue, l’autre côté n’était pas sale. Trois semaines avant sa mort, j’ai vu mon père, il ne pouvait pas parler.

Louis lors de son témoignage, n’hésite pas à insinuer que la mort de Sébastien pourrait être liée à la nourriture apportée par Adeline. Vallentin et Louis prétendent même qu’un coup de pilon donné par Adeline au cours d’une dispute, aurait pu causer sa mort.

Acte D’Accusation

En vain l’accusé prétend que la mort de Sébastien a pu être occasionnée par un coup de pilon que lui aurait donné dans l’estomac sa concubine Adeline. Rien dans l’instruction ne constate qu’il ait jamais été frappé par cette femme. Si Louis affirme ce fait, Adeline et tous les noirs de l’atelier le démentent. D’ailleurs, Sébastien ne s’est jamais plaint de cet acte de violence, et l’état robuste de sa santé au moment de son incarcération démontre mieux que tout témoignage humain l’invraisemblance et la fausseté de ce récit. Ce n’est pas un coup de pilon, mais l’immonde cachot du Balisier qui a tué Sébastien. 

M. le Président à Réville

Votre mère vous a-t-elle accompagné, lorsque vous portiez à manger à votre père ?

 

R.

Non, Monsieur, pas toujours. Elle ne venait au cachot que quand elle avait le temps (à midi), quand Louis ouvrait la porte, pour que je donne à manger à mon père. Elle lui soutenait la tête.

 

D.

Avez-vous prévenu votre maître Vallentin de la maladie de votre père ?

 

R.

Non, Monsieur, les nègres ne parlaient pas à M. Vallentin. (…) M. Vallentin n’est jamais allé le voir.  (…) Un jour, je ne sais pas lequel, quand vint le midi, heure où Louis ouvrait le cachot pour donner à manger à mon père, on le trouva mort. On l’a baigné dans le cachot ; il était maigre ; ses chairs se détachaient, il était dans la boue ; le cachot répandait une odeur fade ; il y faisait très chaud.

 

D.

Avez-vous prévenu votre maître Vallentin de la maladie de votre père ?

 

R.

Non, Monsieur, les nègres ne parlaient pas à M. Vallentin. M. Vallentin n’est jamais allé le voir. (…) Un jour, je ne sais pas lequel, quand vint le midi, heure où Louis ouvrait le cachot pour donner à manger à mon père, on le trouva mort. On l’a baigné dans le cachot ; il était maigre ; ses chairs se détachaient, il était dans la boue ; le cachot répandait une odeur fade ; il y faisait très chaud.

Commencé en février 1836, le supplice de Sébastien aura duré quatre mois. Quand on en retira le cadavre, il offrit aux yeux un hideux spectacle. La face était mangée par les insectes, les membres étaient desséchés, les os n’avaient plus de chairs, le pus sortait des yeux, la peau pendait et tombait sous les mains de ceux qui s’occupaient de l’inhumation.

M. le Président :
Adeline, dites-nous, si l’on a fait un cercueil à Sébastien ?

 

Adeline. :

Non, Monsieur. Après l’avoir lavé, nous lui avons mis une chemise, une culotte et un mouchoir. Dès qu’il fut enterré, j’ai mis une croix sur sa fosse.