The Words of Negroes

Paroles des Nègres

Lois Noires

Dès l’origine, le droit français a cherché à encadrer le pouvoir brutal des maîtres. En 1828, une réforme judiciaire permettant de les juger pour leurs exactions, entraîne une augmentation du nombre de procès de maîtres au cours des deux dernières décennies de l’esclavage.

Au procès de Vallentin, 15 esclaves sont venus témoigner, 9 d’entre eux ont osé révéler  ouvertement les cruautés qu’elles ont subies et mettre en cause leur maître. Ce sont des paroles précieuses et courageuses, prononcées dans la peur, devant un jury blanc et dos à une foule hostile, à quelques pas d’un maître sûr de son impunité.

Depuis 1685, le Code noir régit la vie des esclaves. L’esclave est défini non comme une personne, mais comme la propriété de son maître, incapable de posséder quoi que ce soit qui ne lui appartienne pas, et naturellement privé de ses droits fondamentaux. Ils étaient privés de leur nom, de leur état civil, de leur filiation ou de leur transmission … Des peines de mort, de mutilation et d’enchaînement leur étaient infligées au moindre écart, et ils étaient laissés sans défense face aux abus de leurs maîtres. Au fil du temps, certaines de ces réglementations se sont émoussées ou sont tombées en désuétude. En Guadeloupe, les ordonnances de 1810, rédigées sous l’influence anglaise, dépoussièrent le Code Noir sans changer fondamentalement la situation.

« Si l’on ne retrouve plus dans ce règlement, comme dans le Code Noir, les cages de fer ardentes, les bûchers et les jarrets coupés, les sanctions pénales portées contre les plus légères fautes ne sont-elles pas encore les coups de fouet ou de corde, la marque, le carcan, les fers ou la mort ? (…) Rapprochez de cette sévérité épouvantable l’absence complète de disposition pénale contre les crimes des Blancs contre les esclaves, et vous verrez que c’est l’impunité consacrée en faveur du népotisme le plus honteux et le plus révoltant. »

Xavier Tanc. De l’esclavage aux colonies françaises et spécialement à la Guadeloupe. Paris. 1832

Les ordonnances de 1829 ouvrent une nouvelle ère en introduisant une nouvelle organisation judiciaire, un code pénal colonial et un code d’instruction criminelle. Le code pénal colonial précise que les crimes et autres délits commis par les esclaves, ainsi que ceux commis par les personnes libres à l’encontre des esclaves, seront déterminés et punis par des ordonnances spéciales ; mais qu’en attendant, les crimes et délits commis par les esclaves doivent être punis conformément à la législation en vigueur.

A partir de 1829, les esclaves sont poursuivis comme les personnes libres, traduits devant les mêmes tribunaux et jugés selon le Code français ; mais punis selon l’ancienne législation héritée du Code noir.

La réforme judiciaire introduit les prémices d’un système d’enquête, oblige les tribunaux à motiver leurs décisions et institue un juge de paix pour modérer les abus des maîtres d’esclaves. En 1840, avec l’institution du patronage, les procureurs ou leurs substituts sont tenus de visiter régulièrement les plantations pour s’assurer du respect des règlements et enregistrer les plaintes des esclaves.

Mais dans les faits, rien ne vient garantir aux esclaves la possibilité d’utiliser ces nouveaux droits. Comment porter plainte contre son maître, comment faire confiance à un magistrat itinérant, comment élever la voix dans un tribunal, comment s’opposer à la parole des Blancs et à celle du commandeur ? Avec quelles garanties, quelles protections, quelles conséquences ? Car une fois le maître acquitté, c’est le retour à la plantation,  le retour à sa vie d’esclave, la confrontation avec le fouet du commandeur. Face à cette vulnérabilité absolue, on mesure le courage et le prix de ces paroles de Nègres.