The Words of Negroes

Paroles des Nègres

Paroles D’Esclaves, Échos Lointains

Les archives judiciaires des deux dernières décennies de l’esclavage recèlent une source précieuse et méconnue : la retranscription des paroles d’esclaves comparaissant au procès de leur maître. Bien que fruit d’une volonté politique ambigüe – donner un statut juridique à des personnes privées de droits humains, réformer l’esclavage plutôt que de l’abolir – bien qu’émises face à la justice blanche et à leur propre maître, traduites du créole et retranscrites par un greffier dans un français châtié, ces textes sont bien la seule trace, le seul écho, le seul enregistrement parvenu jusqu’à nous de la voix des esclaves de France.

Si on ne dispose pas pour la France, à l’instar des Etats-Unis ou des colonies britanniques, de récits autobiographiques d’anciens esclaves ; les archives judiciaires recèlent une manne précieuse : les déclarations faites par les esclaves devant les tribunaux rapportées par la presse. En effet, dans les dernières décennies de la période, en France, la loi a autorisé les esclaves à témoigner contre leurs maîtres, à porter plainte auprès de procureurs ; des magistrats itinérants ont même parcouru les plantations pour recueillir leurs doléances. Mieux, des procès ont bien eu lieu, des maîtres ont été traînés en justice et confrontés publiquement….

Mais il n’est guère question ici de justice : le nombre de ces procès augmente à partir des années 1830, parallèlement à l’évolution politique de la Monarchie de Juillet, qui cherche à améliorer la condition des esclaves par l’intervention de la justice plutôt que d’exiger l’abolition immédiate. 

La collision des notions de justice, de droit et d’esclavage est aujourd’hui difficile à concevoir ; elle est pourtant un puissant révélateur du fait colonial. La préoccupation des autorités, dès le début de la période a été de concilier « la nécessité et le maintien de l’autorité du maître avec les droits de l’humanité ». Ce contexte de contorsion morale et juridique trouve une illustration dans les sentences qui frappent les esclaves poussés à l’irréparable par la cruauté de leurs maîtres : pendus, mutilés, déportés … Mais au moins les exactions dont ils ont été victimes auront-elles été décrites dans le prétoire. 

Dans la plupart des cas, les dossiers d’instruction ou les minutes détaillées des tribunaux n’existent plus. Une grande partie de nos connaissances provient de publications communément appelées « chroniques judiciaires ». Ce genre littéraire a gagné en popularité au XIXe siècle, des journaux comme la Gazette des Tribunaux consacrant leurs colonnes presque exclusivement à des comptes-rendus d’affaires judiciaires. Dans les colonies, des comptes rendus similaires de procès d’esclavagistes circulent dans les journaux locaux, comme la Gazette Officielle de la Guadeloupe. L’Affaire Vallentin prouve que de tels procès peuvent faire la une des journaux pendant plusieurs mois, compte tenu de l’exaltation générée par de telles procédures judiciaires.

Reste que l’agitation médiatique a joué un rôle déterminant dans la lente progression des idées abolitionnistes. Victor Schoelcher et d’autres se sont appuyés sur la publicité de ces affaires pour susciter l’indignation de l’opinion publique.

Le procès de Vallentin est d’ailleurs le dernier procès de cour d’assises dont les débats furent insérés dans la Gazette officielle de la Guadeloupe. Car, dit Schœlcher :

 « La révélation de ce qui se passe sur les ateliers, l’impossibilité de nier les faits (…) la certitude du crime et de ses détails, le scandale des acquittements constatés aux yeux de tous, effrayèrent les colons ; ils jugèrent vite la portée de ces comptes-rendus revêtus d’un caractère authentique, et comme ils ont le secret d’obtenir tout ce qu’ils veulent du département de la marine, ils obtinrent qu’on rendît aux jugements des forfaits de la servitude, le huis-clos de l’océan ».

Victor Schoelcher, Des colonies françaises. Abolition immédiate de l’esclavage Paris. 1842